Comment y réchapper? Quel qu’en soit le dénouement, cette affaire est fascinante car elle jette la lumière sur des différences fondamentales qui existent entre les systèmes juridiques français et américains, ainsi que sur nos divergences d’attitude envers bien des choses.
J’ai été choqué, comme sans doute nombre d’entre vous et de nos compatriotes en France, de voir circuler des photos de DSK menotté (la fameuse « perp walk »), comme s’il avait déjà été jugé coupable. Cette pratique est devenue très prisée de la police New Yorkaise, soucieuse de donner l’impression au public qu’elle ne chôme pas. C’est bien dommage que cet excès de zèle se fasse au détriment de la présomption d’innocence, un principe sacré du droit pénal américain auquel je tiens beaucoup…
N’oublions pas cependant que le système de droit pénal aux Etats-Unis est très différent du système français. Il est accusatoire, donc il n’y a pas de juge d’instruction comme en France qui évalue, à charge ou à décharge, la crédibilité des accusations. Aux Etats-Unis, le juge joue plutôt un rôle d’arbitre entre les deux parties, tout en veillant à la bonne application de la loi. Le rôle du procureur (le « District Attorney ») est de bâtir un dossier à charge contre le prévenu. Le dossier est entre les mains du District Attorney du Comté de New York. Le District Attorney est élu du peuple et donc il fait tout pour se faire bien voir… Le prévenu, lui, n’a plus qu’à se défendre. Pour ce faire, l’argent est encore la meilleure arme. Comme nous l’avons vu lors du procès d’OJ Simpson, le sort de l’accusé dépend souvent de la qualité des avocats et des enquêteurs qu’il est capable de s’offrir. Ceux de DSK sont très chers et très bien payés, nul doute qu’ils feront tout ce qu’ils peuvent pour détruire la crédibilité de la plaignante.
Quant au bien fondé des accusations, ce sont les 12 membres du jury qui décideront. Rendez-vous à ce sujet dans quelques mois…
Le débat en France sur cette affaire a mis en exergue des attitudes bien françaises, et notamment une conception toute relative de l’égalité. J’ai été éberlué d’entendre certains hommes de gauche, comme Jack Lang et Jean-François Kahn, balayer la gravité des accusations en prétextant qu’il n’y avait « pas mort d’homme (sic)» ou qu’il s’agissait d’un « simple troussage de domestique ». Comme si un accusé d’une certaine importance pouvait se soustraire à la loi ! Comme les Américains, je pense que plus un homme se hisse dans la hiérarchie du pouvoir, plus sa conduite doit être irréprochable. Dans une démocratie digne de ce nom, tout le monde doit être égal devant la loi. En réalité, cette affaire a souligné les défauts respectifs de chaque pays… Le système américain cultive le privilège de l’argent; le système français cultive celui du rang. Le juste équilibre, celui qui respecte la présomption d’innocence et refuse en même temps le “fait du prince”, se situe probablement à mi-chemin entre nos deux cultures. Ca tombe bien : c’est là où nous sommes, vous et moi. .
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Autre sujet qui nous concerne de très près : la remise en cause de la double nationalité.
Dans un courrier envoyé le 30 mai dernier, la présidente du Front National, Marine Le Pen, a demande au cinq cent soixante-dix-sept députés de l'Assemblée nationale de rouvrir le débat sur l'interdiction de la double nationalité pour les citoyens français. Elle argue que le "sentiment d'appartenance à une même nation" est en danger du fait de la "multiplicité des appartenances à d'autres nations". Elle est soutenue, c'est triste à constater, par une poignée de députes UMP.
Il s'agit là d'une atteinte grave à une des valeurs fondamentales de notre République et une insulte faite à tous les binationaux. Je peux vous assurer que tous vos conseillers l'Assemblée des Français de l'Etranger (AFE) et vos douze sénateurs des Français de l'étranger s'opposent à l'unanimité à cette proposition. De plus, cette initiative n'a ni le soutien du Président Sarkozy ni d'une majorité des parlementaires.
On comprend très bien qu'il s'agit de l'envoi d'un message codé, qui vise plutôt les immigrés en France que les binationaux à l'étranger, mais il ne faut pas oublier qu'une telle loi aurait des conséquences délétères pour tout le monde.
Je suis convaincu que la double culture est une richesse et un exemple qu'il faut entretenir. Dans un monde qui se globalise l'appartenance à deux cultures est un atout clé pour l'individu et pour les nations auxquelles il appartient. Le biculturalisme aide à bâtir des ponts afin d'arriver à plus d'échanges, de compréhension, de tolérance et de dialogue entre les nations. Nous sommes officiellement 116.000 Français aux Etats-Unis, mais en réalité nous sommes probablement trois fois plus nombreux, dont une bonne moitié sont des binationaux. Si jamais la France nous interdisait de posséder la double nationalité, j'ai bien l'impression que beaucoup d'entre nous, surtout ceux qui sont ici depuis un certain temps, préféreraient renoncer à leur nationalité française plutôt qu'à l'américaine. Ceci serait une bien triste conséquence pour la France. On pourra aussi s'interroger sur la compatibilité de cette idée saugrenue et même dangereuse avec les centaines de millions d'Euros que dépense la France, au travers de l'agence pour l'enseignement du français à l'étranger, pour promouvoir à l'étranger l'enseignement en français, les écoles françaises et les programmes bilingues…. Je suis convaincu que la raison prévaudra, mais dans le contexte politique actuel ce genre d'initiative ne peut que semer la zizanie.
Je vous conseille la lecture à ce sujet de l’excellente tribune parue dans Le Monde sous la plume de Christophe Girard, adjoint (PS) au maire de Paris chargé de la culture et conseiller régional d'Ile de France. |